Pour commencer ce blog, voici un texte de 2012 issu de la proposition suivante : Nous disposions d'une liste de titres, nous devions en choisir un et écrire une petite histoire issue de ce titre. J'avais choisi : "la maitresse de l'idiot". Le texte présenté ici est brut, et n'a pas été retravaillé.
La Maitresse de l'Idiot
Au village, tout le monde connaissait Basile. Le pauvre
n’avait plus toute sa tête depuis l’accident qui, lorsqu’il était enfant, avait
couté la vie à ses parents et lui avait ravi le peu d’intelligence qu’ils
avaient pu lui léguer. Il logeait dans un réduit derrière la mairie, qu’il
partageait avec le matériel de la commune. Monsieur le Maire lui donnait un
petit salaire pour balayer les bâtiments communaux et la grand place, ou pour
tailler les arbres et les rosiers de monsieur l’instituteur. Tout le monde
avait, quand on le rencontrait, un mot gentil ou une tape condescendante sur
l’épaule.
Seulement voilà : depuis quelques temps, les regards
sur Basile changeaient. Basile avait une maitresse. C’était monsieur Gibert qui
l’avait découvert en passant par hasard derrière la mairie après une soirée
bien arrosée. Au début, il crut que Basile égorgeait un mouton, mais il
s’aperçut rapidement, le rouge lui montant aux oreilles, que les cris qu’il
entendait ne pouvaient provenir que d’une femme en proie au plaisir amoureux.
Et quelle étreinte se devait être ! Monsieur Gibert en avait le cœur pincé
de jalousie. Sacrifiant à la décence, Monsieur Gibert s’éloigna poliment pour
respecter l’intimité de la vie privée de Basile. Mais cette attente ne devait
pas durer bien longtemps, puisque le lendemain, l’heure de l’apéritif n’avait
pas encore sonnée que le village entier discutait de la chose. Qui cela
pouvait-il bien être ? Les hypothèses et les suppositions fusaient plus
vite que les feux d’artifice du 14 juillet. La veuve Menile ? Surement
pas ! Elle avait 80 ans ! La jeune Nathalie ? Son fiancé fut
formel, à l’heure du crime ils dinaient ensemble dans sa famille. La nuit
suivante, ce fut le vieil Antoine qui passa devant le réduit de Basile, rentrant
chez lui après une belote acharnée où il avait perdu plus que ce que sa femme
pourrait lui pardonner. Lui aussi entendit les ébats de Basile, qui semblait
devoir pour le moins tenir de l’exploit sportif. Il hésita un moment à frapper
à la porte pour être sur que tout allait bien, mais ne put s’y résoudre par
crainte du ridicule.
Le lendemain, il ne manqua pas de compter les exploits du
simple d’esprit, narrant lui aussi le caractère formidable de la chose. La
rumeur s’amplifia, les soupçons se firent plus insistants. Certains lançaient
des paris. Les femmes laissaient un sourire envieux passer sur leurs lèvres ou
donnaient de vifs coups de coudes pleins de reproches dans les côtes de leurs
maris.
Chaque nuit, l’arrière de la mairie devenait un lieu de
passage de plus en plus fréquenté. On s’y saluait d’un sourire gêné, jetant un
vague coup d’œil rapide vers la fenêtre où on espérait, en vain, découvrir un
indice.
Le jour, on dévisageait les visages des femmes pour chercher
à y déceler les stigmates d’une extase amoureuse.
Au bout d’un mois, la situation s’envenima. Si Basile avait
fréquenté une étrangère au village, cela se serait su, à la longue !
C’était donc forcément quelqu’un d’ici. Les maris soupçonnaient leur femme, les
mères soupçonnaient leurs filles ; chacun et chacune se dévisageait avec
suspicion. Et bien sûr, personne n’osait demander directement à Basile, car
cela ne se faisait pas. Ce n’est que lorsque le boulanger se fut retrouvé chez le docteur, battu comme
plâtre par sa femme à coup de pelle à pain pour lui avoir dit dans un moment de
colère que ce devait être elle la fameuse maitresse, que l’on décida que trop,
c’était trop ! Il fallait savoir !
On envoya donc monsieur le curé, neutre dans les affaires de
cœur, pour poser à Basile la question fatidique.
L’entrevue se déroula chez Basile, à l’heure de la sieste.
Après avoir servi poliment un verre de vin rouge à monsieur le curé, Basile
attendit patiemment que celui-ci veuille bien lui dire ce qu’il voulait de lui.
-
- Basile, commenca monsieur le curé, tripotant
nerveusement son verre. Tout le village sait que tu as… une amie qui vient te
rendre visite le soir et avec laquelle tu… Je ne te parlerais pas de péché,
pauvre innocent, mais disons avec laquelle tu… t’unis charnellement.
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- Oh oui, monsieur le curé ! Même que c’est
drôlement agréable.
Monsieur le curé fit une grimace génée.
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- Bien sûr, Basile, bien sûr. Mais cette femme,
elle est du village, n’est-ce pas ?
Basile fronca les sourcils, réfléchissant intensément.
-
- Oui, monsieur le curé.
-
- Bien ! Alors pour la sauvegarde de la
sécurité du village, il faut me dire de qui il s’agit car vois-tu, cette
histoire a jeté notre petite population dans le chaos le plus total. N’ai pas
peur, Basile, tu ne seras pas réprimandé.
Basile afficha une mine un peu génée et sembla encore une
fois se plonger dans une réflexion intense.
-
- Ben… hésita-t-il. La veuve Ménile…
-
- Quoi ? explosa monsieur le curé. Cette
pauvre femme de plus de 80 ans ? Mais Basile ! Inconscient que tu
es ! Mais tu vas la tuer ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu
fais ! Tu vas me faire le plaisir d’aller lui faire tes excuses
immédiatement ! Je cours chercher le docteur, qu’il puisse l’examiner.
-
- Non, non, m’sieur le curé ! balbutia Basile
d’un air affolé. La veuve Ménile… c’est la seule du village à pas être venue.