Nous sommes partis d'un texte court, une micro-nouvelle de Nathalie Tousnakhoff nommée "Patrice". Le but fixé par Isabelle était de broder et d'étendre la nouvelle, non pas en lui écrivant une suite, mais en l'étoffant "de l'intérieur". Nous devions conserver tout le texte de la nouvelle originale, mais y rajouter du nouveau contenu sans écrire avant le début ni après la fin. Voici tout d'abord le texte original :
PATRICE par Nathalie Tousnakhoff
Patrice et son petit pav’ en banl’ : avec véranda en
plastique et garde-fou en béton armé motif faux-bois. Si un jour des nains de
jardin y apparaissent spontanément, il ne faudra pas s’en étonner, ce sera le
fruit d’une certaine logique de l’univers. Patrice est mon voisin. Il va tous
les jours faire ses courses, avec son sac en nylon rayé, parfois deux poireaux
dépassent, j’en pleurerais. Je ne l’entends jamais écouter de musique, je ne
sais pas ce qu’il aime lire. Je ne connais pas non plus son âge, et j’ai appris
son nom en le lisant sur sa boite aux lettres. En revanche, je sais qu’il a des
neveux. Ils viennent le voir. Parfois. C’est toujours le dimanche. Il leur a
acheté des camions en plastique, qui restent là, pour quand ils viennent.
Patrice entretient son jardin. Quand je vois qu’il a taillé
ses rosiers, je fais pareil : je ne peux pas me tromper. S’il a emballé
ses arums dans du papier journal, alors je dois rentrer mes géraniums. Parfois
j’ai envie d’aller le voir, et de le remercier : il ne sait pas combien il
m’aide. Pour le jardin, et pour le reste : pour tout ce que j’ai et qu’il
n’a pas.
Mais je dis juste « Bonjour ». Ou « Bonsoir ».
Voici maintenant les textes de trois élèves de l'atelier :
PATRICE par Annick
Dans cette sinistre banlieue, tous les pavillons se
ressemblent, monotonie, tristesse les jours de pluie.Cependant il y a Patrice,
et oui, Patrice et son petit pav' de
banl' : réduction péjorative direz-vous. Pourtant non. Car ce petit
pav' avec véranda en plastique et garde
fou en béton armé motif faux bois, se remarque de loin.Il attire même les
passants curieux de contempler cette alliance du plastique, du béton et du faux
bois, sorte de broderie de guerre.
Si un jour des nains
de jardins, tous les 7 plus Blanche Neige, apparaissent spontanément il ne faudra pas s'étonner. Ce sera du
pain béni, le fruit d'une certaine
logique de l'univers kitch mais version ésotérique d'un penchant enfantin
pour les contes de fées.
Patrice est mon
voisin. Discret, trotte menu, il va
tous les jours faire ses courses, bien propret, chandail de laine grise ou
pardessus usé au col selon la saison, sans oublier ce vieux galurin qui cache
sa calvitie. Il va, avec son sac en
nylon rayé, genre zèbre de la savane ; parfois deux poireaux dépassent, touche de vert dans la grisaille
du personnage. J'en pleurerais.
Calfeutré dans son pav' de banl', bien isolé, je ne l'entends jamais écouter de la
musique. Comme je ne le rencontre jamais à la bibliothèque dont je
m'occupe, je ne sais pas ce qu'il aime
lire.
Je ne connais pas non
plus son age. Certains de mes voisins le disent « sans age »,
c'est-à-dire qu'il passe partout, traverse les siècles, s'efface dans le temps. Et j'ai appris son nom en le lisant sur la
boîte aux lettres, dans un moment de curiosité facilité par une demande du
facteur qui venait livrer un colis en son absence.
En revanche je sais
qu'il a des neveux. Ils se sont présentés à moi alors que j'étais dans mon
jardin. Ils viennent le voir. Parfois.
C'est toujours le dimanche. Il leur a acheté des camions en plastique, je
les vois jouer dehors car ils sont bruyants et doivent le fatiguer. Camions en
plastiques qui restent là pour quand ils
reviennent. L'oncle veille à ce
qu'ils n'emportent rien. L'un d'eux, un soir, voulait prendre un nain de
jardin. Il avait jeté son dévolu sur « Simplet ». L'oncle a été
formel : les nains forment une famille indivisible.
Patrice entretient
son jardin méticuleusement, en respectant les temps de bêchage, de
plantation pour chaque espèce. Quand je
vois qu'il a taillé ses rosiers je fais pareil : je ne peux pas me tromper
car il est comme un baromètre de la culture. S'il a emballé ses arums dans du papier journal- de cette façon, je
sais au moins quel journal il lit!- alors
je dois rentrer mes géraniums.
Parfois j'ai envie
d'aller le voir et le remercier. Il ne sait pas combien il m'aide. Pourtant
il doit bien se douter que je l'observe et il voit que je l'imite. Il zyeute
mon jardin, mais ne m'a jamais fait une réflexion.
Non, il ne sait surement pas combien il m'aide, pour le jardin et pour le reste : pour
tout ce que j'ai et qu'il n'a pas mais aussi pour tout ce qu'il a et que je
n'ai pas.
Mais je dis juste
« Bonjour » ou « Bonsoir », en songeant à l'allumeur de
réverbère du Petit Prince : « Bonsoir » « Bonjour ».
Patrice et son petit pav’ en banl’ de la grande couronne est parisienne : avec véranda claire en plastique blanc et son garde-fou en béton armé non gélif motif faux-bois spontanément façon sapin. Si un jour des nains de jardin genre Walt Disney y apparaissent gaiement et spontanément, il ne faudra pas s’en étonner, ce sera le fruit d’une grande roue qui tourne et d’une certaine logique de l’univers. Patrice est mon plus proche voisin. Il va tous les jours, le matin, faire ses courses, avec son sac cabas en nylon rayé, parfois deux poireaux posés sur des carottes dépassent. J’en pleurerais. Je ne l’entends jamais faire de bruit ou écouter de la musique. Lit-il ? Je ne sais pas ce qu’il aime lire Je ne connais pas non plus son âge ni la date de son anniversaire et j’ai appris son nom et son prénom en le lisant sur sa boite aux lettres. En revanche je sais et ça je le sais qu’il a des neveux le. Ils le viennent voir souvent. Parfois plutôt. C’est toujours le dimanche. Il leurs a achetés des camions en plastique et un mécano qui restent là seuls pour quand ils viennent.
Patrice entretient son jardin toute l’année. Quand je vois qu’il a taillé ses rosiers, je l’imite, je fais pareil : je ne peux pas me tromper, je ne peux pas médire. S’il a emballé ses arums dans du papier journal du journal Minute, alors je dois rentrer chez moi mes géraniums. Parfois j’ai envie d’aller le voir et de lui parler, et de le remercier vraiment : il ne sait pas combien il m’aide. Pour le jardin pour le reste : pour tout ce que j’ai à moi, et qu’il n’a pas à lui. Mais je dis juste poliment « Bonjour » ou « Bonsoir ».
PATRICE par David
Patrice et son petit
pav’ en banl’. C’est comme ça qu’il l’appelle. Je l’ai entendu une fois, il
en parlait au téléphone avec un copain alors qu’il sortait de chez lui. « Pav ‘
en banl’ », avec un bon gros faux accent appuyé de la banlieue, comme si c’était
son rêve d’enfant d’avoir un pavillon en banlieue. Certains rêvent d’une villa
à Sainte Maxime, avec piscine et parc privé, lui c’est un « pav’ en banl’ »
avec véranda en plastique et garde-fou
en béton armé motif faux-bois. Tous les clichés du « pav’ en banl’ »,
Patrice les a mis en place un par un, comme on vérifie une liste de courses
dans les grands magasins. Si un jour des
nains de jardin apparaissent spontanément, il ne faudra pas s’en étonner, ce
sera le fruit d’une certaine logique de l’univers. Oh, j’allais oublier :
Patrice est mon voisin. Je vois sa
véranda de la fenêtre de ma cuisine, et son jardin de la fenêtre de ma chambre.
Au début, je ne le voyais passer que lorsqu’il était dans sa véranda et moi
dans ma cuisine, ou alors quand il était dans son jardin et moi dans ma
chambre. Et de temps en temps, rarement, je le croise dans la rue. Mais petit à
petit, j’ai découvert son emploi du temps, et je m’amuse à me trouver
régulièrement à un endroit de chez moi d’où je peux observer ses allées et
venues. C’est peut-être du voyeurisme, mais son attachement à la routine exerce
pour moi la même fascination qu’on peut avoir à observer un poisson rouge
tournant en rond dans un bocal. Il faut dire que Patrice est réglé comme une
horloge : Il va tous les jours faire
ses courses à la même heure, avec
son sac en nylon rayé rouge et blanc. Je ne l’ai jamais suivi, mais il est
facile de deviner où il va. Parfois, des goulots de bouteille en verre
dépassent : il est allé chez le caviste de la rue Michalon. Parfois, une
baguette : il est allé chez le boulanger de l’avenue Saint-Pierre (j’ai
reconnu le papier d’emballage). Parfois,
deux poireaux dépassent : il est allé au marché de la place Michel
Caron. J’en pleurerais. De rire. Ou
de compassion. Ou de consternation. Les trois à la fois, je pense. Quand il
entre dans sa maison, par contre, je ne sais rien de lui. Il garde sa porte et
ses rideaux tirés, même en été. Je ne l’entends
jamais écouter de musique, je ne sais pas ce qu’il aime lire. Il a une antenne
satellite sur le toit, je suppose donc qu’il doit regarder la télévision, mais
je ne sais pas quel programme. Je ne
connais pas non plus son âge : il a un de ces physiques passe-partout
qu’on oublie aussitôt hors de vue. Entre trente et cinquante ans ? Peut-être
plus. Sans doute pas moins. Et pour
couronner le tout, je n’ai appris son
nom qu’en le lisant sur sa boite aux lettres. Une boite aux lettres avec un
splendide autocollant « Pas de Publicité ». Bien entendu. En revanche, je sais qu’il a des neveux.
Je sais que ce sont ses neveux car ils vocifèrent toujours des « Tontons !
Tontons ! » en arrivant. Ils
viennent le voir. Parfois. Sa sœur ou son frère ne doit pas habiter bien
loin, car ils arrivent toujours à pied. Je ne vois jamais d’adulte avec eux. C’est toujours le dimanche. Il leur a
acheté des camions en plastique, qui restent là pour quand ils viennent.
Sauf en hiver, où il les rentre dans son garage.
Patrice entretient
son jardin, avec la patience et le savoir-faire d’un vieux célibataire qui
a définitivement renoncé à la vie maritale. Du coup, je me sers de ses allées
et venues comme étalon pour mon propre jardin. Quand je vois qu’il a taillé ses rosiers, je fais pareil :
Patrice est plus précis que l’almanach du Père Benoit. Je ne peux pas me tromper. S’il a emballé ses arums dans du papier
journal, alors je dois rentrer mes géraniums. Parfois, j’ai envie d’aller le voir, et de le remercier : il ne sait
pas combien il m’aide. Pour le jardin et pour le reste, pour tout ce que j’ai,
et qu’il n’a pas. Mais surtout pour tout ce qu’il a et que je n’ai pas.
Personne n’est venu me rendre visite depuis plus de cinq ans. Je commande tout
ce que j’achète par internet ou par téléphone. Mes seules sorties sont pour
aller apporter mes papiers aux Assedics. Ma maison est poussièreuse et sale, et
je me sens plus seul qu’un chrysanthème dans un cimetière. Mais en face il y a
Patrice, si modeste et si humble. Si routinier et si ordinaire. Est-ce qu’il se
sent seul, lui aussi ? Est-il heureux ou malheureux ? Je devrais
aller sonner chez lui, lui parler, faire connaissance.
Mais je dis juste « Bonjour ».
Ou « Bonsoir ».
Et enfin Patrice par Isabelle elle-même !
Patrice et son petit pav' en banl' rue des Anémones, avec véranda en plastique où des géraniums se balancent mollement dans leur pot tarabiscoté et garde-fou en béton armé motif faux-bois.
Chaque soir à 18h30 précises, Patrice rentre de son travail, il ouvre la porte à bascule de son garage et y range soigneusement sa rutilante 306 crème. Chaque samedi, il la sort dans la cour en pavés autobloquants et passe plusieurs heures à la bichonner, aspirant l’intérieur, astiquant les vitres avec une peau de de chamois et lustrant la carrosserie avec amour. Quand il a terminé, il fait recule de quelques pas et, un sourire heureux aux lèvres, la contemple avec satisfaction.
Chaque dimanche, Patrice s’occupe de son jardin, il tond le gazon plus ras qu’un paillasson, taille les haies plus rectilignes qu’un moellon et agence ses bordures telle une armée de soldats de plomb. Donc, si un jour des nains de jardin poussant des brouettes vides, des champignons rouges à pois blancs et des biches aux grands yeux tristes y apparaissent spontanément, il ne faudra pas s'en étonner, ce sera le fruit d'une certaine logique de l'univers
Patrice est mon voisin de gauche. Ma voisine de droite s’appelle Louisette, mais d’elle je parlerai une autre fois.
Il va tous les jours faire ses course à 18h24 précises, avec son sac en nylon rayé de chez Lidl parfois deux poireaux dépassent, j'en pleurerais.
Je ne l'entends jamais écouter de musique, je ne sais pas ce qu'il aime lire, mais chaque soir, à 19h59 précises, j’aperçois la lumière bleue de la télévision qui tremble dans son salon. Je ne connais pas non plus son âge, et j'ai appris son nom en le lisant sur sa boîte aux lettres. Il s’appelle Patrice Jubet, mais je ne l’ai jamais entendu chanter.
En revanche, je sais qu'il a des neveux. Ils viennent le voir. Parfois. C'est toujours le dimanche. Je sais quand ils vont venir, car ces vendredis-là, quand il revient des courses à 19h08 précises, en plus de son sac rayé, il porte dans la main gauche une boîte à gâteau rose de chez Madeleine. . Il leur a acheté des camions en plastique, qui restent là, pour quand ils viennent. Pourtant je sais par ma voisine de droite, Louisette, dont je vous parlerai un autre jour, qu’un de ses neveux est parti habiter dans le sud et que l’autre travaille chez Castorama, je crois.
Patrice entretient son jardin. Ça, je vous l’ai déjà dit. Mais je le répète car pour moi c’est très important. Quand je vois qu'il a taillé ses rosiers, je fais pareil : je ne peux pas me tromper. S'il a emballé ses arums dans du papier journal, alors je dois rentrer mes géraniums, et s’il nettoie sa cour pavée en brossant chaque joint avec une brosse en paille de fer, je sais qu’il est l’heure pour moi de repeindre mes volets. Alors le jour où il remise sa tondeuse au garage, je sais que l’été est fini.
Parfois j'ai envie d'aller le voir, et de le remercier, j’ai envie d’y aller avec une tarte aux pommes maison ou mon délicieux fondant au chocolat et sa crème anglaise.
Il ne sait pas combien il m'aide. Pour le jardin, et pour le reste ; pour tout ce que j'ai, et qu'il n'a pas.
Mais je dis juste "Bonjour, beau temps pour la saison". Ou "Bonsoir, il paraît que la nuit sera froide. "