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jeudi 24 juillet 2014

TENTATIVE D'EPUISEMENT D'UN PERSONNAGE - Annick




AU BISTROT BLEU

 
ELVIRA




Zut, j'ai oublié ma liste de courses, je me fais des reproches « Elvira, tu perds la tête ». Je vais encore me faire traiter de tous les noms par Lou et Max.
Je les entends déjà me dire que je ne pourrai plus les gronder lorsqu'ils oublient leur cahier de textes.

Je suppose que c'est à cause de ce papier portant le nom du travail de mon ex. C'est tout ce qu'il m'a laissé, ce papier débile avec le nom de sa Société : »RODRIGUEZ GROUP » Écrit en anglais, ça devait faire plus international !
Bon, concentrons-nous. Je vais être obligée de me scotcher à tous les rayons du Supermarché pour retrouver les produits.

Tiens, si je m'arrêtais dans ce bistrot juste en face pour réécrire ma liste. Ce serait plus judicieux. Et son nom « Le BISTROT BLEU » m'inspire. J'adore les bières et j'ai ainsi un moment pour moi. Oui, d'accord, c'est pas très « mère de famille ». Au diable les préjugés ! J'en profiterai pour regarder mes messages. Le barman me connaît. Il me fait penser à un prof que j'ai eu lorsque j'étais jeune et amoureuse de lui ! J'en ai fait, à l'époque, des listes de mots d'amour que j'aurais aimé lui dire ou lui envoyer.

Peut-être les retrouverai-je dans un cahier où j'écrivais alors. J'aurais voulu être collée. Collée ?, colle néoprène, voilà une chose de ma liste retrouvée ! Réfléchissons vite. Voilà, ma liste est complète. Je me dépêche avant la fermeture du supermarché.

Retrouver ce journal intime. Je viendrai le lire dans ce bistrot, seul lieu où je suis tranquille en même temps que je peux voir qui passe dans ma rue !.


UN MATIN, AU BISTROT


Le barman du « Bistrot Bleu » vient prendre son service. Il voit immédiatement cette femme qui doit aimer ce lieu car il la voit souvent.

Les yeux rivés sur son I Phone, elle sirote une bière blonde.

À côté de l'I Phone, un journal est ouvert. De temps en temps, la femme jette un bref regard vers la porte. Elle porte des vêtements sombres, contrastant avec sa chevelure auburn. Ses cheveux souples et longs laissent entrevoir un visage inquiet. Dans l'autre coin de la salle, un homme la regarde et semble touché par une certaine grâce qui émane d'elle.

Sur le dossier de sa chaise, une doudoune noire et un foulard coloré qui donne vie à l'ensemble sombre.

Que dire sur son attente, sinon qu'elle inquiète le barman.
Elle coche certains passages de la page du journal. Sous celui-ci un cahier à couverture fleurie apparaît de temps à autre.

L'homme qui était loin s'installe à une table plus proche. La femme le regarde sans le voir, elle surveille la rue.

Le barman remarque le manège de l'homme tout en évoluant avec souplesse entre les tables. Cheveux bruns, regard noir il a l’œil vigilant, il se sait le maître des lieux. Son costume, imposé par la fonction qu'il occupe laisse deviner un corps mince et souple.

Il essaie d'engager la conversation avec la femme, intrigué par sa concentration et par le cahier qui dépasse du journal. Il craint la malveillance de l'homme qui s'approche. Il lui fait remarquer qu'il doit consommer. L'homme s'insurge.

La femme, alors, sort de son repli et les observe. Son visage traduit son étonnement presque apeuré lorsqu'elle voit l'homme.

Le barman voudrait la protéger. Il ne connaît pas les intentions de l'homme.

La femme se lève brusquement et sort. Elle a reconnu le patron qui l'a virée du journal où elle travaillait.Elle ne veut plus le voir, ni lui parler, elle ne veut pas sombrer à nouveau dans le désespoir qui a suivi son renvoi.


FLÂNER
 
Simplement, dans cette rue qu'elle appelle « Rue du Bistrot bleu », observer les passants, les écouter, plonger ainsi dans la vie. Sur un petit carnet, elle note brièvement les choses pittoresques qu'elle remarque.

Son attention est attirée par la jeune fille qui arrive en face d'elle, écouteurs aux oreilles, les yeux rivés sur son téléphone. Si aucune des deux ne modifie sa trajectoire, la rencontre va être douloureuse ! Vite, un pas de côté !

Elle salue le marchand de légumes qui fait l'article à une vielle dame qui lui demande si ces pommes vertes sont mûres.
-Bien sûr, mamie, elles sont délicieuses, elles ont un goût d'avant-guerre ». Référence qui convainc la « mamie ».

Tiens, un magasin de sous vêtements vient de s'installer. Deux jeunes filles en sortent en commentant leurs achats, de minuscules slips qui ont l'air de les ravir.

Deux jeunes garçons se disputent un ballon, elle pense alors « est-ce que les miens sont bien rentrés de l'école ? »

Un nouveau magasin attire son attention. De jolies poteries, de la vaisselle, cela pourra faire des cadeaux sympas, mais pas le temps de s'arrêter aujourd'hui, car l'heure tourne.

Voilà l'aveugle du 4 avec son beau chien blanc. Nous nous saluons toujours amicalement. J'admire son habileté à se déplacer et l'intelligence de son chien qui le pousse délicatement lorsque quelqu'un arrive en face.




RÊVER

 
Je me verrais bien en short coupé court, coupé rose, rat des villes, rat des champs, rasibus  attendant un bus qui ne viendrait jamais, un bus plein de lamas crachant sur l'avenir, assise en équilibre- très instable- sur une barrière- je déteste les barrières- dans une station- service, inutilement posée là, délabrée, désaffectée, mais pas désinfectée.

Une odeur nauséabonde se répand au ras du sol le long d'une route nationale ;

Je me tiens bien droite, attendant une âme qui vivrait dans cette contrée inhospitalière et bien déserte. Et contre toute attente je boirais un coca en contemplant l'univers que je créerais à ma façon.

Il ferait chaud.

Je m 'étourdirais, me saoulerais de mots, maudits, maussades, motos, momo, mot pour mot. J'aurais le visage embué, embrumé d'une transpiration légère comme une brise, une caresse et -oh ! Tellement sexy.

Le coca m'envahirait, m’enivrerait, m'éblouirait, frais, par vagues, revivifiant.

Le délire me ferait voyager loin et je n'aurais que l'embarras – ras le bol, rats d'égout, rats d'hôtels, rataplan -du choix entre tous les destins ratés, ratiboisés, ratatinés ou mirifiques qui s'offriraient à moi.




TROUVER UN JOB





Tout en discutant avec le barman- je lui demande s'il ne connaît pas un commerce qui rechercherait une vendeuse-, je remarque une annonce sur un prospectus que je n'avais pas repéré sous mon journal.

C'est une jeune femme qui cherche à contacter des personnes pour une réunion amicale.Elle est chargée de faire la promotion des « tupper ware ». Ça me fait penser à une lettre que j'avais écrite il y a plusieurs années. Je cherchais du travail et j'avais préparé une annonce semblable. Je ne l'ai jamais envoyée, elle doit être quelque part au grenier. Mais je m'en souviens
J'avais dans l'idée donner des cours de pâtisserie. Je m'étais même trouvé un pseudo : »Madeleine Saint Honoré ». Tout un programme !
Je peux retranscrire ce qu'elle disait car je l'avais peaufinée et je l'ai gardée en mémoire.

Cher(e) ami(e) (je m'adressais aussi aux hommes, d'heureuses rencontres peuvent se faire autour de petits fours)

J'aimerais partager avec vous une de mes spécialités : réaliser des gâteaux maison. Je fournis les ingrédients , les moules, et mets ma cuisine à disposition
.
Les gâteaux peuvent être dégustés sur place ou emportés chez vous.

Comme je ne connais pas encore tout le quartier, je dépose ma lettre dans les commerces qui vous connaissent et pourront vous donner des renseignements sur ma personne
.
Nous passerons ainsi un bon moment où nous pourrons bavarder, faire connaissance.

Vous pouvez me joindre au 5 Millefeuille-le-haut.

Madeleine Saint Honoré

En fait, je ne l'ai jamais envoyée, car j'avais rencontré celui que je croyais être l'homme de ma vie : Mike TATIN, une crème d'homme !



 RETOUR SUR LE PASSE


Me voilà installée dans mon bistrot préféré, à ma table préférée, un peu à l'écart mais face à la rue. Aujourd'hui j ai le temps de lire ce joli cahier.


10 octobre 1951

J'ai 15 ans et j'ai acheté ce beau cahier pour en faire mon confident. Grand soir ! La nuit tombe et je suis enfin tranquille dans ma chambre. Ma mère ne risque pas de faire irruption. A lui seul je peux confier ce qui m'agite car il gardera le secret. Je suis amoureuse, à la folie, de mon nouveau professeur, je vais l'appeler Max.
Quand il entre dans la salle de classe, mes jambes se mettent à trembler, mon cœur à battre vite et fort. Je ne sais plus rien du cours. J'ai peur qu'il m'interroge alors je ne le regarde pas.


12 octobre

Sylvie, la chipie, s'est rendu compte de ma passion. Elle me fait chier à longueur de journée. Un de ces jours je vais lui faire sa fête.
Je guette désespérément la sortie du collège pour apercevoir Max


Novembre

Horreur ! Je l'ai vu avec une fille plus grande, d'un cours supérieur. Désespoir. Je pleure de rage. L'encre se dissout sous mes larmes.


Mars 1953
Je viens de fêter mes 17 ans et je retrouve ce cahier ! Pèlerinage familial à la première maison que nous avons habitée. Nous étions toutes petites. Je n'ai reconnu que la balançoire. Elle était toujours là, accrochée au vieux pommier. Une petite fille s'y balançait. J'ai ressenti tout à coup les premières terreurs suivies de mon désir d'aller de plus en plus haut, presque de m'envoler.
En rentrant, j'ai vu dans le journal que Max a été renvoyé du collège. Il n'a pas été assez prudent. Méchamment, j'ai fêté cela, en dégustant voluptueusement des petits fours !


Mai 1963

Décidément, ce cahier disparaît et réapparaît. Je le retrouve au grenier en voulant ranger les vêtements d'hiver. Mais qu'ai-je fait de toutes les pages qui ont été déchirées ? J'ai gommé 10 ans , m’efforçant de rester dans la vie sans prononcer ni écrire ton nom, Lisette, ma sœur, partie bien trop tôt, et voilà que mes pleurs tombent sur ce cahier.

Avec le cahier, les chaussures de montagne que je portais lors des ballades avec toi et Loïc. Également les chaussures que j'avais eu tant de mal à trouver pour ton mariage. Je les voulais de la même couleur que mes cheveux, auburn. Et on me disait « Rouquine de la tête aux pieds ».
Je n'avais d'yeux que pour toi. Tu évoluais, belle, gracieuse, heureuse. Pourquoi a-t-il fallu que tu disparaisses aussi vite ?

Il y a aussi cette jupe noire que je portais en cette nuit funeste. Toi et Loïc étiez partis en montagne. J'étais allée au bal du village. Lorsque je rentrais à la maison, je trouvais père et mère en larmes, effondrés, n'arrivant pas à me dire que vous aviez eu un très grave accident de montagne et qu'il n'y avait pas d'espoir. Nous restions hagards.
Je suis ressorti, j'ai arpenté les trottoirs, bêtement, dissimulant mes idées noires qui coulaient avec mes larmes.
Je me mis à haïr cette jupe noire comme si elle avait un présage de deuil.*



Janvier 1970

Voici que sous le tas de sacs dont je me sers habituellement, en cherchant celui qui me conviendra le mieux, j'aperçois une valise d'autrefois.

Intriguée, surprise de ne l'avoir jamais vue, je la sors et l'observe avec une pointe d'intérêt mêlé d'inquiétude. Elle a du beaucoup servir. La poignée est usée, fatiguée d'avoir sans doute beaucoup voyagé, tenue par des mains fermes ou angoissées, sèches ou en sueur. Valise symbole de départs, de ruptures, de retours ?

Pourquoi cette crainte de l'ouvrir ? Ses deux serrures sont encore efficaces. Elles me font penser à deux gardes du corps, le corps du délit ? Elles doivent garder des secrets pour qu'on l'ait fourrée au fin fond de ce placard.

Je me risque à l'ouvrir. Pas besoin de clé. Des cartes postales, des journaux, des lettres ! Mon Dieu, quel fatras !

En brassant le tout, une photo me saute aux yeux. Une petite fille, semble-t-il. Je ne l'avais jamais vue. Elle ne devait pas avoir sa place dans l'album de famille que ma mère faisait avec application.
La pointe d'inquiétude s'agrandit, m'envahit. Une enfant cachée ? Dans une valise de la guerre ? Aucun nom derrière ce petit carré. Ce visage semble être celui d'une petite fille sage, au sourire mystérieux.

Je cherche alors dans les journaux un indice ou des lettres qui expliqueraient. Mais comment dater cette photo ?

Plus je regarde cette valise, plus elle m'intrigue. Dans quels trains a-t-elle voyagé ?
Cette fillette vit-elle toujours ?

Trouver une explication va m’obliger à affronter ma mère avec laquelle la relation est plutôt dégradée. Et ce ne sera pas simple tant elle tient secret son passé.


 
ET MAINTENANT ?

 
Elvira franchit la porte, comme ivre d'un chagrin ancien mais toujours vivant. Présent et passé s'emmêlent. Elle marche comme un automate vers ses enfants qui l'attendent.

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